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Cabinet d'Avocat Jacques VOCHE ASSURANCE-VIE, ÉPARGNE, FINANCE
Cabinet d'Avocat Jacques VOCHEASSURANCE-VIE, ÉPARGNE, FINANCE

Succession et Assurance vie

De quels moyens disposent les héritiers de voir réintégrer à la succession une assurance vie dont ils ne sont pas bénéficiaires ?

Résumé et conseil

 

L’assurance vie est un outil permettant de contourner l’ordre public successoral.

 

Tout au moins en partie seulement, la loi ayant prévu en effet un « garde-fou » afin de sanctionner ceux qui souscrivent un contrat d’assurance dans l’unique but de déshériter leurs héritiers.

 

Les héritiers qui s’estiment lésés par l’opération de transmission réalisée via l’assurance-vie au profit d’autres  qu’eux ou au profit de certains d’entre eux seulement peuvent solliciter le rapport à succession et la réduction pour atteinte à la réserve des primes versées sur le contrat manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur (article L. 132-13 du Code  des assurances), ce qui leur permettra, si la demande est acceptée, de recevoir une part successorale plus importante.

 

Mais «la fenêtre de tir» des héritiers est particulièrement étroite :

- les critères de l'appréciation de l'exagération sont stricts (âge, situation patrimoniale et familiale, utilité des opérations à la date de chacun des versements effectués)

seule les primes exagérées sont réintégrées dans la succession et non la «valeur du contrat» 

- l’action ne joue qu’à l’égard des héritiers légaux  et non à l’encontre des légataires universels ou à titre universel ou des petits-enfants du souscripteur, l’exagération manifeste des primes reste alors indifférente si le tiers bénéficiaire ne cumule pas la  qualité d’héritier légal du défunt (Cass. 1re civ., 8 mars 2017, n° 69-10237;  Cass. 1re civ., 20 oct.  2010, n° 09-16157)

- s'il n'y a pas d'atteinte à la réserve, l'exagération des primes ne sera pas sanctionnée (Cass. 2e civ. 3-11-2011 n° 10-21.760)

 

Aussi avant d’initier une procédure et afin d’éviter les déconvenues, il convient d’apprécier  l’opportunité et la pertinence de mobiliser l’article L. 132-13 du Code  des assurances,  vérifier que le jeu en vaut bien la chandelle, que  les effets recherchés l’emportent sur les effets indésirables, dresser un bilan coût/avantage entre les chances que  soit constaté le caractère manifestement exagéré des primes, le coût  de la procédure judiciaire et  les effets patrimoniaux d’un tel constat.

 

Si vous etes dans cette situation, je vous invite à me contacter afin d'établir préalablement à la saisine éventuelle du Tribunal, une évaluation des chances de succés d'une telle demande et son impact sur la part successorale à laquelle vous pourriez prétendre si la demande était acceptée.

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Explications

 

Le Principe : l’assurance vie étant hors succession, les sommes perçues par le bénéficiaire et les primes versées par le souscripteur ne sont pas rapportable à la succession et ne sont pas soumis aux règles de la réduction pour atteinte à la réserve (C. ass. art. L 132-13)

 

Le rapport des libéralités est une institution du droit successoral selon laquelle l'héritier, appelé avec d'autres à recueillir une succession, doit remettre dans la masse successorale les biens dont le défunt l'avait gratifié (article 843 Code civil). Il s'effectue, en principe, en valeur.

Sont tenus au rapport les héritiers ab intestat acceptants venant à la succession qui ont reçu du défunt une donation entre vifs, à la condition d'avoir été héritier présomptif à la date de cette dernière, ou un legs stipulé rapportable. Symétriquement, seuls les cohéritiers peuvent réclamer le rapport. Les légataires et les créanciers successoraux ne peuvent ni le demander ni en bénéficier

 

La réduction des libéralités est une action spéciale par laquelle un héritier réservataire peut obtenir des bénéficiaires de libéralités consenties par le défunt au-delà de la quotité disponible la restitution de la part excédentaire de ces libéralités afin de rétablir la réserve héréditaire qui a été entamée (article 920 et suivants du Code civil).

 

Exception : les primes versées sur un contrat d'assurance-vie sont soumises aux règles du rapport et de la réduction lorsqu'elles ont été manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur (C. ass. art. L 132-13, al. 2)

       

     I - Les critères de l’exagération :  l'âge, la situation patrimoniale et familiale du souscripteur et  l'utilité des opérations à la date de chacun des versements effectués 

 

En l’absence de définition légale des primes « manifestement exagérées », la Cour de cassation a fixé les critères clés de l'appréciation de l'exagération (Cour de Cassation, Chambre mixte, 23 novembre 2004, 01-13.592 et 02-17.507: «attendu qu'il résulte de l'article L. 132-13 du Code des assurances que les règles du rapport à succession et celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers ne s'appliquent pas aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ;qu'un tel caractère s'apprécie au moment du versement, au regard de l'âge ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur ).

Ces décisions ont été complétées par un arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 10 avril 2008 selon lequel « l'utilité de la souscription est l'un des critères devant être pris en compte pour évaluer le caractère exagéré ou non des primes versées ; que ce caractère s'apprécie au moment du versement des primes » (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 10 avril 2008, 06-16.72).

La Cour de cassation impose la vérification cumulative de quatre critères d'exagération, en exigeant qu'il soit « tenu compte de l'âge, de la situation patrimoniale et familiale du souscripteur et de l'utilité des opérations à la date de chacun des versements effectués » (Cass. 1re civ., 12 sept. 2012, n° 11-17.600 ; Cass. 1re civ., 16 déc. 2020, n° 19-17.517 ; Cass. 1re civ., 3 mars 2021, n° 19-21.420)

Les tribunaux doivent statuer au regard de ces quatre critères et ne saurait en retenir un seul (Cass. 2e civ. 16-6-2022 n° 20-20.544 : la Cour de cassation annule un arret de Cour d’appel qui avait retenu uniquement le critère du patrimoine du souscripteur pour exclure l’exagération).

L’intérêt des héritiers ne constituent pas un critère d’appréciation du caractère manifestement exagéré des primes (Cass. 2e civ., 19 mai 2016, no 15-19458)

Ils doivent également particulièrement motivés leurs décision et notamment s’expliquer clairement sur l’utilité présentés par le contrat pour le souscripteur au moment du versement des primes (Cour de cassation, 2e chambre civile, 16 Décembre 2021 – n° 20-11.805)

Cette utilité peut résulter par exemple du fait que le versement des primes sur le contrat s’inscrit dans un projet particulier tel que le financement de frais d’hébergement en maison de retraite ou l’anticipation d’une chute de ressource.

S’ils doivent se limiter aux critères définis par la Cour de cassation (âge, situation patrimoniale et familiale du souscripteur, utilité pour lui du contrat)  «il n'est pas interdit aux juges du fond, dans leur appréciation globale des situations patrimoniale et familiale de celui-ci, de tenir compte du fait qu'il partage les charges de la vie courante avec une autre personne ». (Cass. 1e civ. 6-11-2019 n° 18-16.153).

La date à laquelle le caractère exagéré des primes doit être établi est celle de leur versement, et non celle du décès de l'assuré.

Exemples de primes jugées exagérées :

- la souscriptrice avait, à l’âge de 90 ans, puis à l’âge de 93 ans, souscrit deux contrats d’assurance-vie sur lesquels elle avait versé des sommes reçues d’une succession qu’elle s’était par ailleurs abstenue de révéler à la Caisse nationale d’assurance vieillesse qui lui octroyait une allocation mensuelle complémentaire. « Dès lors que cet héritage lui aurait utilement permis de vivre sans avoir besoin de cette allocation supplémentaire versée chaque mois au titre de la solidarité nationale au profit de retraités aux revenus insuffisants», il a été jugé que «la CNAV [rapportait] la preuve du caractère manifestement exagéré du montant de cette prime eu égard aux facultés du souscripteur» (CA Versailles, 12 janv. 2023, n° 21/03554).

- la souscriptrice bénéficiait d’une retraite de 1 144 € et que son patrimoine se composait de droits immobiliers évalués à 64 656,75 € et d’un compte bancaire de 27 195,17 €. Partant, la prime de 192 000 €, payée en une seule fois, lors de la souscription du contrat, à l’âge  de 91 ans, quand par ailleurs celui-ci ne procurait aucun revenu et n’avait fait l’objet d’aucun rachat, ne pouvait qu’être regardée comme manifestement excessive (CA Bordeaux, 17 janv. 2023, n° 20/02047).

- versement d’une prime de 16 400 € par une personne dont la seule ressource était constituée d’une pension d’invalidité d’à peine 950 € par mois. L’arrêt a retenu que la somme litigieuse, qui représente « plus de 2 ans et demi des ressources [du souscripteur] et plus d’un tiers de son patrimoine » est manifestement disproportionnée, quand « l’utilité de ce placement pour [lui] est inexistant » (CA Rennes, 15 févr. 2023, n° 19/07586).

- versements mensuels de primes d’environ 260 € dès lors que ceux-ci étaient supérieurs au montant des ressources déclarées par la souscriptrice en sa qualité d’allocataire. En réalité, il apparaissait que ces sommes avaient permis à l’allocataire de constituer un capital financier au bénéfice de son fils chez lequel elle était hébergée (CA Paris, 10 mars 2023, n°19/07114).

- des primes versées pour un montant global de 46 000 € provenant de la vente de son logement par une personne sous tutelle percevant une allocation mensuelle de 220 € et bénéficiant de l'allocation de solidarité aux personnes âgées et ce, alors même que les versements ont été autorisés par le juge des tutelles (Cass. 1e civ. 7-2-2018 n° 17-10.818).

- des primes versées pour un montant total de plus de 2 000 000 € en l'espace de trois ans sur deux contrats, par un veuf âgé de plus de 65 ans et disposant d'une retraite confortable de 55 000 €. La cour d'appel a retenu que ces placements, représentant 61 % de l'actif successoral, ne s'inscrivaient pas dans un projet particulier tel que le financement de frais d'hébergement en maison de retraite et ne présentaient aucun intérêt personnel ni économique mais avaient pour seul but de soustraire l'essentiel de l'actif de la succession au profit d'un seul héritier réservataire (Cass. 1e civ. 16-12-2020 n° 19-17.517 ).

     II - Preuve du caractère exagéré des primes

La charge de la preuve du caractère excessif des primes pèse sur les héritiers.

Cette preuve implique de connaitre le ou les contrats et montant des primes versées et de pouvoir reconstituer le patrimoine et/ou les revenus du souscripteur à l'époque du versement des primes.

Le recueil des engagements à caractère déontologique des entreprises d’assurance membres de la Fédération – Janvier 2023 permet aux notaires d’interroger l’assureur sur l’existence des contrats d’assurance vie souscrits par le défunt et sur du montant des primes versées.

Cependant le respect des obligations de confidentialité de l’assureur ne lui permettent pas de révéler l’identité du ou des bénéficiaire(s),  cette information devant  être obtenue par voie judiciaire.

   III- Conséquence civil des primes jugées manifestement exagérées

Les primes jugées exagérées deviennent rapportables et réductibles, conformément à l’article L. 132-13, alinéa 2 du Code des assurances.

L’exagération conduit à ce que la donation indirecte non réductible et non rapportable que constitue en principe l’assurance-vie dénouée par le décès de l’assuré au profit de bénéficiaires désignés à titre gratuit, mute en une donation indirecte réductible et rapportable des primes.

Comme l’a énoncé la Cour de cassation, « lorsqu'elles sont manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur, les sommes versées à titre de primes d'un contrat d'assurance-vie constituent des libéralités dont il doit être tenu compte dans la liquidation de la succession et qui peuvent influer sur la détermination des droits des héritiers (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 4 juin 2009, 08-15.093).

 

             A- Ampleur de la réintégration des primes

 

La prime exagérée doit être réintégrée dans la succession dans sa totalité et non la seule fraction constitutive de l’excès (Cass. 1e civ. 4 juin 2009, 08-15.093; Cass. 1e civ. 16-12-2020 n° 19-17.517)

 

Si le capital perçu par le bénéficiaire est inférieur aux primes, la réintégration doit être limitée au capital

Tel est l’opinion de la doctrine majoritaire (M. Leroy, Assurance-vie et gestion du patrimoine, 2e éd., 2014, Lextenso, n° 769 ; L. Mayaux, in J. Bigot (dir.), Traité de droit des assurances, t. 4, Les assurances de personnes, 2007, LGDJ, n° 289 ; C. Lesbats et X.-E. de la Robrie, Assurance vie et pratique notariale, 2016, Cridon Ouest, n° 531) même si la Cour de cassation n’a encore jamais statué expressément sur la question.

La prime exagérée doit etre réintégrée pour sa valeur nominale sans tenir compte de la valorisation lié à la capitalisation ou la performance des unités de compte sur lesquelles elle a été investi (Cass. 1re civ., 16 déc. 2020, n° 19-17517)

 

                B- Modalités de la réintégration des primes

 

Concernant le rapport

  • Qui ?

Seuls les héritiers légaux ou « ab intestat » (succession dans laquelle aucune disposition testamentaire n'a a été prise par le défunt) peuvent être débiteurs du rapport à la succession et seuls les cohéritiers peuvent réclamer le rapport (article 843 et  857 Code civil).

En conséquence, si le bénéficiaire n'est pas soumis au rapport (parce que n'étant pas un héritier du souscripteur défunt ou parce que, étant l'un des héritiers, il renonce à la succession), la prime « excessive » ne sera pas rapportable (Cass. 1re civ., 30 janv. 2019, n° 18-12045 : le bénéficiaire d’assurance sur la vie n’est débiteur du rapport des libéralités à la succession qu’à supposer qu’il cumule cette qualité avec celle d’héritier ab intestat du souscripteur ; le légataire universel n’y est pas tenu)

Les petits-enfants du souscripteur, bénéficiaires du contrat d'assurance-vie, lorsque des enfants de ce dernier viennent à sa succession, n’ont pas la qualité d’hériters légaux : par conséquent, ils ne peuvent être condamnés, sur le fondement de l'article L. 132-13 du Code des assurances à rapporter le montant des primes versées, à la succession du souscripteur défunt et ce, même si les primes sont manifestement exagérées (Cass. 1re civ. 19 nov. 2014, n°13-25680 ; Cass. 1e civ. 8-3-2017 n°16-10.384).

  • Comment ?

Lorsque le rapport est dû, son montant est ajouté à l’actif successoral pour le calcul des droits des héritiers légaux puis  il est déduit, pour le même montant, de la part de l’héritier qui en est débiteur.

Une libéralité n’est soumise au rapport que dans la  mesure où elle ne porte pas atteinte à la réserve : si la prime jugée manifestement exagérée porte atteinte à la réserve, elle ne sera pas soumise au rapport. La réduction opère  en effet comme une résolution partielle de la libéralité. Il n’y a donc  pas lieu de rapporter une libéralité qui n’existe plus.

Concernant la réduction

La prime  «excessive» sera, éventuellement, réductible dans les conditions fixées par les articles 920 et suivants du Code civil en cas d'atteinte à la réserve : s'il n'y a pas d'héritiers réservataires (descendants ou conjoint survivant) ou, en présence d'héritiers réservataires, s'il n'y a pas d'atteinte à la réserve, l'exagération des primes ne sera pas sanctionnée (Cass. 2e civ. 3-11-2011 n° 10-21.760).

Avant  de procéder à une éventuelle réduction, il convient d’imputer la libéralité réalisée par le versement de primes excessives. D’une part, lorsque le bénéficiaire est un héritier non réservataire, le montant de la prime excessive s’impute logiquement sur la quotité disponible. D’autre part, si, à l’inverse, il est un réservataire, en application de l’article 919-1 du Code civil, l’imputation de la donation s’effectue en priorité sur la réserve du bénéficiaire puis, si nécessaire, sur la quotité disponible.

Si le calcul conduit à retenir une atteinte à la réserve, alors une indemnité de réduction est due, qui s’ajoute à l’actif successoral. La logique commande alors que les primes ne soient soumises au rapport que dans la mesure où elles n’ont pas été réduites, afin d’éviter que le bénéficiaire « paie deux fois pour la même donation». La réduction étant un mécanisme d’anéantissement, le rapport porte sur la partie demeurée intacte de la libéralité.

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