Si l'on vous conteste la qualité de bénéficiaire faite à votre profit, vous devez, pour contraindre l'assureur à vous verser le capital décès, prouver que le souscripteur du contrat a exprimé de manière certaine et non équivoque sa volonté de vous désigner bénéficiaire.
Le souscripteur d'un contrat d'assurance vie peut modifier jusqu'à son décès (ou celui de l'assuré si s'agit d'une tiers personne) le nom du bénéficiaire dès lors que sa volonté est exprimée d'une manière certaine et non équivoque et que l'assureur a eu connaissance de cette modification (Cass. 1e civ. 13-5-1980 n° 79-10.053 ; Cass. 1e civ. 6-5-1997 n° 95-15.319 ; Cass. 2e civ. 13-9-2007 n° 06-18.199).
(i) Aucune condition de forme n'est exigée (Cour de cassation, 2e chambre civile, 3 Avril 2025 – n° 23-13.803 : "la substitution du bénéficiaire d'un contrat d'assurance sur la vie, qui n'est subordonnée à aucune règle de forme"; Cass. 1re civ., 2 déc. 2015, n°14-27215: "la modification du nom du bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie n’est subordonnée à aucune règle de forme")
ii) La volonté du stipulant doit etre « exprimée d’une manière certaine et non équivoque » (Cass. 1re civ., 13 mai 1980, n° 79-10.053; Cass. 1re civ., 6 mai 1997, n° 95-15319 ; Cass. 1re civ., 29 juin 1999, n° 97-13876 ; Cass. 1re civ., 7 nov. 2012, n° 11-22634; Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-23197; Cass. 1re civ., 5 avr. 2023, n°21-12875;Cour de cassation, 2e chambre civile, 3 Avril 2025 – n° 23-13.803)
(iii) La validité de la substitution de bénéficiaire du contrat d'assurance sur la vie nest pas conditionnée par la connaissance de cette modification par l'assureur avant le décès de l'assuré : la clause bénéficiaire, pour sa validité; n'a pas à avoir été transmise à l'assureur avant le décés (Cour de cassation, 2e chambre civile, 3 Avril 2025 – n° 23-13.803)
Explications détaillées
Aux termes de la jurisprudence de la Cour de cassation, la validité de la modification de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie est soumise à une seule condition:
I- la condition de validité de la clause bénéficiaire modificative : une manifestation de volonté certaine et non équivoque de modifier cette désignation
La question se pose lorsque la désignation n’est pas faite dans la police mais par acte séparé ou qu’un acte postérieur substitue une autre personne au bénéficiaire désigné initialement.
Cette manifestation de volonté doit-elle respecter un certain formalisme ?
Certes l’article L132-8 alinéa 8 C.ass apparaît restrictif puisqu’il ne vise que trois modalités (avenant au contrat, formalités de la cession de créance ou testament) et l’article L. 132-9-1 impose de préciser dans le contrat que la clause bénéficiaire peut faire l'objet d'un acte sous seing privé ou d'un acte authentique.
Cependant sur un plan formel, les règles applicables à la désignation et à la substitution du bénéficiaire apparaissaient, traditionnellement, empreintes de flexibilité (H. Groutel, F. Leduc, Ph. Pierre, M. Asselain, Traité du contrat d'assurance terrestre, préf. G. Durry : Lexis-Nexis Litec 2008, coll. Les Traités, n° 2231 et s. – L. Mayaux, Traité de droit des assurances, J. Bigot (dir.), t. 4 : LGDJ, 2007, n° 309.) : « Pour autant, il demeure parfaitement exact que la désignation du bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie peut être réalisée suivant une forme quelconque, aucune disposition du Code des assurances ne venant limiter cette possibilité (à l’inverse de l’acceptation par le bénéficiaire depuis la réforme opérée par la loi du 19 décembre 2007). La même absence de formalisme régit la modification du bénéficiaire par le souscripteur. » (RGDA févr. 2016, n° 113a9, p. 104 Jérôme Kullmann)
La jurisprudence considère en effet que cette liste n’est pas limitative et que « la modification du nom du bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie n’est subordonnée à aucune règle de forme » (Cour de cassation, 2e chambre civile, 3 Avril 2025 – n° 23-13.803; Cass. 1re civ., 2 déc. 2015, n° 14-27215)
Tout est finalement une question de preuve, dont l’objet est la volonté du souscripteur : a-t-il, oui ou non, entendu substituer un nouveau bénéficiaire au précédent ? Quant aux moyens de preuve, ils sont libres, et efficaces dès qu’ils conduisent le juge à relever la volonté du stipulant qui doit être « exprimée d’une manière certaine et non équivoque » (Cass. 1re civ., 6 mai 1997 : RGDA 1997, p. 815, note L. Mayaux).
Comme l’écrit Philippe Pierre, « tout se ramasse dans l’exigence substantielle d’un choix dépourvu d’équivoque » (Traité du contrat d’assurance terrestre, dir. H. Groutel, Litec 2007, n° 2233).
Concernant spécifiquement les lettres missives, ont été considérées comme exprimant de façon certaine et non équivoque la volonté de modifier la désignation du bénéficiaire :
Cass. 1re civ., 13 mai 1980, n° 79-10.053 : Bull. civ. I, n° 146
l’assuré peut modifier jusqu’à son décès le nom du bénéficiaire et que cette modification est opposable à l’assureur dès lors qu’elle exprime de façon certaine et non équivoque la volonté du stipulant
Cass. 1re civ., 10 mars 1993, n° 91-15.925
par une appréciation qui est souveraine la cour d'appel a estimé, contrairement aux premiers juges, que la lettre missive du 13 septembre 1986, écrite en entier, datée et signée de la main de Daniel Le Picard traduisait de sa part une manifestation de volonté qui n'était pas mise en cause par le fait que cette correspondance n'avait pas été expédiée par l'intéressé avant son décès ; qu'elle a pu en déduire que le document litigieux constituait un testament olographe dont les époux Jego étaient fondés à se prévaloir
Cass. 1re civ. 8 nov. 1994
Attendu que Mme Pasaribu fait grief à cette décision d'avoir ainsi statuté alors que, d'une part, en retenant comme commencement de preuve par écrit de la volonté de Charles Bouruet-Aubertot de modifier la désignation du bénéficiaire, un document n'émanant pas de la personne à laquelle ce document était opposé, la Cour d'appel aurait violé l'article 1347 du Code civil ; alors que, d'autre part, un simple imprimé ne comportant pas la signature du stipulant, fût-il par ailleurs rempli de sa main et en possession de l'assureur, n'étant pas l'expression d'une volonté certaine et non équivoque de modifier la désignation du bénéficiaire, la Cour d'appel aurait violé l'article L. 132-8 du Code des assurances ;
Mais attendu qu'en vertu des articles L. 132-8 et L. 132-9 du Code des assurances le droit de révoquer la stipulation par laquelle le bénéfice de l'assurance est attribué à une personne déterminée n'appartient qu'au stipulant tant que le bénéficiaire ne l'a pas accepté ;
Attendu que l'arrêt attaqué a relevé que Charles Bouruet-Aubertot avait envoyé à la Mutuelle, qui l'avait reçu le 29 juillet 1987, un imprimé rempli de sa main dans lequel il mentionnait Mme Lasne comme bénéficiaire du capital-décès ; qu'il ressortait de la comparaison des écritures que ce document avait été rédigé par le stipulant lui-même ; que, dans différents courriers adressés à la Mutuelle, Charles Bouruet-Aubertot avait fait connaître à celle-ci sa nouvelle situation familiale et son refus de cotiser pour sa femme dont il se considérait séparé de corps ; que la Cour d'appel, qui a considéré que Charles Bouruet-Aubertot avait exprimé de façon certaine et non équivoque sa volonté de modifier la désignation du bénéficiaire du capital-décès, en a exactement déduit que cette modification était opposable à l'assureur ainsi qu'à Mme Pasaribu : d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
En l'espèce, la modification avait pris la forme d'un document dactylographié, préparé par l'un des nouveaux bénéficiaires sur lequel l'assuré s'était borné à apposer sa signature et le nom des personnes bénéficiant de la substitution.
A l’opposé, des courriers types non signés de la main du souscripteur ont été considérés comme insusceptible de manifester la volonté du souscripteur de modifier la clause bénéficiaire :
Cour de cassation, 2e chambre civile, 26 Novembre 2020 – n° 18-22.563
Après avoir retenu que le testament olographe du 30 novembre 2010 devait être annulé faute d'avoir été écrit en entier de la main du testateur, et relevé que M. S... Y... et Mme F... Y... faisaient également valoir qu'en tout état de cause, leur père avait écrit aux assureurs, le 21 janvier 2011, pour modifier en leur faveur la clause bénéficiaire de ses contrats d'assurance-vie, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel a estimé, sans ajouter à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, que les six courriers à en-tête de A... Y... (le souscripteur) adressés à différents établissements bancaires étaient des lettres-types non revêtues de la signature de l'intéressé et ne pouvaient être considérés comme la manifestation de la volonté du souscripteur de désigner comme bénéficiaires ses deux enfants aux lieu et place de ses quatre soeurs.
Cette décision ne saurait cependant être interprétée comme exigeant comme condition de validité la signature par le souscripteur de la lettre par laquelle il modifie le bénéficiaire.
En effet et comme le relève le Professeur Luc Mayaux (RGDA janv. 2021, n° 118c9, p. 68 Luc Mayaux), le contexte de l’affaire « a sans doute influé la décision des juges du fond sans que la Cour de cassation n’y trouve rien à redire » car il permettait de douter de la manifestation de la volonté du souscripteur de modifier le bénéficiaire :
- les lettres du 21 janvier 2011 n’étaient pas écrites de la main du souscripteur ce qui exclut toute possibilité d’analyse graphologique
- il s’agissait de lettre type donc standardisé « alors que la désignation du bénéficiaire est par nature, individualisée »
- le testament olographe écrit antérieurement aux lettres du 21 janvier 2011 et par lequel le souscripteur modifiait le bénéficiaire avait été attaqué pour insanité d’esprit et a été annulé par la Cour d’appel pour vice de forme « faute d’avoir été écrit en entier de la main du testateur » (Cour d'appel, Nancy, 1re chambre civile, 22 Mai 2018 – n° 17/01000)
D’autre part, la précision de Cour de cassation selon laquelle « c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel a estimé, sans ajouter à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas » (sous-entendu de forme soit la signature du souscripteur) est importante car « elle peut être vue comme l’indication que l’article L. 132-8 du Code des assurances n’impose aucune condition de forme » (RGDA janv. 2021, n° 118c9, p. 68 Luc Mayaux)
Selon le professeur Phillipe PIERRE cette décision peut « être compris comme un simple rappel de cette exigence ô combien classique en matière d'assurance – en ce qu'elle se borne à refléter le droit commun des obligations – et attestée par une jurisprudence constante » soit l'impératif « d'une volonté dépourvue d'ambiguïté du disposant » (RESPONSABILITÉ CIVILE ET ASSURANCES - N° 3 - MARS 2021)
Dans cette espèce, la conjonction de ces trois éléments (courrier type, absence de signature et nullité du testament pour vice de forme) faisait que la volonté modificatrice n’était pas clairement démontrée et établie.
De même, la simple signature au bas d’un avenant pré rédigé par le nouveau bénéficiaire peut ne pas suffire à établir que le souscripteur « ait eu connaissance du contenu et de la portée exact du document au bas duquel il avait apposé sa signature, ni qu'il ait exprimé la volonté certaine et non équivoque de modifier les bénéficiaires du contrat » (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 25 septembre 2013, 12-23.197, Publié au bulletin)
La signature par l’assuré d’un acte rédigé par son assistante de vie ne permet pas d’établir une volonté certaine et non équivoque de modifier la clause bénéficiaire (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 5 avril 2023, 21-12.875) dès lors que des circonstances extérieures ayant entouré la signature de l’acte permettent de douter de cette volonté (modification intervenue trois mois avant le décès, signature mal assurée et rédaction par l’assistance de vie).
Il résulte de ces diverses décisions que :
1) l’absence de signature ne permet pas de facto d’exclure l’existence d’une volonté certaine et non équivoque de modifier les bénéficiaires du contrat dès lors que la lettre est rédigée de la main du souscripteur, l’écriture remplaçant la signature (RGDA janv. 2021, n° 118c9, p. 68 Luc Mayaux)
2) la signature n’est pas une condition de validité de la clause bénéficiaire, mais est un élément de preuve, parmi d’autres, de la volonté du contractant.
Mais naturellement, le défaut de signature est suspect lorsque la clause bénéficiaire a pour instrumentum un document standard et impersonnel.
3) l'ensemble des circonstances extérieures ayant entouré la signature de l’acte modificatif doit être pris en compte pour apprécier la volonté certaine et non équivoque de modifier la clause bénéficiaire
II – l’assureur n'a pas être avisé de la substitution avant le décès de l’assuré
Après avoir jugé dans deux arrêts rendus les 13 juin 2019 et 10 mars 2022 que, hors le cas d'une substitution de bénéficiaire par voie de testament olographe, la validité d'une telle modification est conditionnée, d'une part, à l'expression d'une volonté certaine et non équivoque du contractant, d'autre part, à la connaissance de cette modification par l'assureur avant le décès de l'assuré (Cass., 2e Civ., 13 juin 2019, pourvoi n° 18-14.954, publié ; Cass., 2e Civ., 10 mars 2022, pourvoi n° 20-19.655, publié), la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en affirmant que cette jurisprudence ne pouvait etre maintenue et que la connaissance par l'assureur de la volonté de modifier la clause bénéficiaire ne peut pas conditionner la validité de la substitution de bénéficiaire opérée par le contractant (Cour de cassation, 2e chambre civile, 3 Avril 2025 – n° 23-13.803)
Concrétement, cela signifie qu'il n'est pas nécessaire que la nouvelle clause bénéficiaire ait été transmise à l'assureur avant le décés du souscripteur du contrat.
Maître Jacques VOCHE, avocat expert en assurance vie, conseille, assiste et défend les bénéficiaires de contrats d'assurance-vie devant toutes les juridictions de France.
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