Synthèse
Les héritiers du souscripteur ou le bénéficiaire initial évincé peuvent solliciter la nullité de la modification du bénéficiaire intervenue à leur détriment sur la base de quatre fondements possibles selon les situations :
Le premier fondement est d’une redoutable efficacité car purement formel il évite tout débat sur l’existence du consentement du souscripteur et sa preuve, toujours délicats à rapporter après son décés. Mais il ne concerne que le cas ou la modification est réalisée par un écrit ne pouvant s’analyser en un testament olographe.
Les deux autres fondements (vices du consentement et insanité d’esprit) sont difficiles à mettre en œuvre en raison des conditions légales exigées et des problèmes de preuves.
Le quatrième fondement dont les éléments constitutifs et la preuve sont moins restrictifs que les deux précédents permet l’annulation de la modification dans des situations ou le souscripteur du contrat s'est contenté d'apposer sa signature sur un acte ne portant aucunement les stigmates d'une quelconque insanité d'esprit (ce qui sera très difficile à caractériser pour la désignation du tiers bénéficiaire d'un contrat d'assurance-vie) mais alors que sa volonté d'y adhérer est douteuse.
Il est donc préférable pour les héritiers ou le bénéficiaire évincé souhaitant contester la modification du bénéficiaire opérée à leur détriment de fonder leur action sur l’article L 132-8 du Code des assurances c'est à dire l’absence de volonté certaine et non équivoque de l’intéressé de procéder à la modification, plutôt que sur l’article 414-2 du Code civil pour insanité d’esprit, plus difficile à mettre en œuvre.
Enfin une plainte pénale sur le fondement du délit d'abus de faiblesse (article L 122-8 Code de la consommation) n'est pas, sauf exception, à recommander, les éléments constitutifs du délit étant difficile voire impossible à réunir postérieurement au décès du souscripteur et l’aléa inhérent à tous procès pénal trop important.
Conseil
Si vous contestez la modification du bénéficiaire d'un contrat d'assurance vie effectué à votre détriment ou si l'on vous conteste la qualité de bénéficiaire, je vous invite à me contacter afin de mettre en place très rapidement une stratégie tant procédurale que sur le fond - choix du fondement à retenir - vous permettant de récupérer le capital décès vous revenant.
L’urgence est d’autant plus grande si l’assureur a versé ou va verser le capital décès : il peut par la suite être très difficile de le récupérer auprès du bénéficiaire déchu qui pourra l’avoir dépensé et ne plus disposer d’un patrimoine suffisant pour le restituer.
En effet, si la nullité du changement est prononcée, le bénéficiaire initial devra se retourner contre celui qui a reçu le capital. L’assureur ayant réglé de bonne foi (article L132-25 Code des assurances) sera, lui, libéré par son paiement. À cet égard, la jurisprudence récente est bienveillante : elle a pu décider (Cass. 1re civ., 31 mars 2021, n°19-18.951) qu’en l’absence de mesure de protection juridique du souscripteur, l’assureur ne disposait d’aucun élément objectif lui permettant de ne pas tenir compte des demandes de modification du souscripteur, fussent-elles successives ; son paiement, fait de bonne foi, l’avait valablement libéré.
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Explications détaillées
Tant qu’une clause bénéficiaire n’a pas été acceptée par le bénéficiaire, celle-ci peut être modifiée à tout moment par l’assuré par simple courrier.
Aussi, il arrive que des personnes proches de l’assuré mais non héritières (ex : aides à domicile …) modifient frauduleusement à leur profil la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance, alors qu’initialement la clause désignait comme il est fréquent « mes héritiers ».
Il arrive encore que des enfants manipulent leur parent pour leur faire modifier la clause bénéficiaire au détriment de leurs freres et soeurs.
Il est en effet aisé à une personne mal intentionnée d’adresser à l’assureur une lettre type non signé modifiant à son profil une clause bénéficiaire, au besoin en demandant à l’assuré, en état de vulnérabilité, d’écrire lui-même l’adresse sur l’enveloppe.
D’autres encore vont profiter de l’état de vulnérabilité dû à l’âge pour faire modifier à une personne ayant un contrat d’assurance la clause bénéficiaire à leur profil.
La surprise est alors grande pour le ou les bénéficiaires initiaux d’apprendre au décès de l’assuré qu’ils ne sont plus bénéficiaires.
Dans cette situation et en cas de suspicion de fraude, il convient d’abord de se faire communiquer par l’assureur la clause bénéficiaire afin de connaitre le nom du bénéficiaire si celui-ci n'est pas connu.
La communication permettra en outre une analyse graphologique qui pourra révéler une écriture « dérangée », une écriture qui n’est pas celle de l’assuré mais du nouveau bénéficiaire, une signature falsifiée …
Les assureurs étant tenu à une obligation de confidentialité refusent de communiquer la clause bénéficiaire modifiée et l'identité du nouveau bénéficiaire.
Il convient, ce qui ne pose pas de difficulté particulière en général, de demander au Juge des référés d’ordonner à l’assureur de communiquer la clause bénéficiaire modifiée sur le fondement de l’article 145 Code de procédure civile.
Parallèlement et si l’assureur n’a pas encore versé le capital décès au bénéficiaire litigieux, il convient de former opposition au règlement des capitaux décès auprès de l’assureur.
Et si la clause bénéficiaire modifiée et communiquée par l’assureur révèle une irrégularité quant à sa rédaction, une absurdité ou une incohérence quant à l’identité du nouveau bénéficiaire permettant de douter de la réalité de la volonté de l'assuré de procéder à la modification intervenue à votre détriment, il convient de saisir le Tribunal d’une demande de nullité de la désignation du bénéficiaire sur le fondement :
1) soit du défaut de transmission à l’assureur avant le décès de la lettre modifiant le bénéficiaire et ne constituant pas un testament olographe
La Cour de cassation exige en effet que l’assureur soit informé avant le décès de la modification bénéficiaire lorsque celle-ci est réalisée par un écrit ne constituant pas un testament olographe (Cour de cassation, 2e chambre civile, 13 Juin 2019 – n° 18-14.954 ; Cour de cassation, 2e chambre civile, 10 Mars 2022 – n° 20-19.655)
2) soit du vice du consentement (erreur, dol, violence)
Par exemple des pressions psychologiques exercées par l’un des bénéficiaires peuvent être assimilés à des violences ayant vicié le consentement de l’assuré et par conséquent entraînant la nullité de l’avenant modifiant la clause bénéficiaire (Cass. 1re civ., 24 juin 2015, n°14-17461 : dans cette affaire, la fille du souscripteur était venue s’installer chez lui, l’avait fait sortir prématurément de l’hôpital et avait elle-même pris rendez-vous avec le représentant de la compagnie d’assurance afin de modifier la clause bénéficiaire en sa faveur. En outre, diverses correspondances émanant de celle-ci démontraient qu’elle s’adressait à son père de façon méprisante voire injurieuse et qu’elle était très intéressée ; la cour de cassation approuve les juges du fonds d’avoir « estimé que les pressions ainsi exercées avaient déterminé le consentement de X. à la modification de la clause bénéficiaire »)
Cependant la preuve d'un vice de consentement alors que le souscripteur est décédé peut etre trés difficile à rapporter : ce fondement n'est donc pas à privilégier.
3) soit de l’absence du consentement :
(i) soit par ce que le souscripteur du contrat se trouvait dans une situation d’insanité d’esprit (article 414-1 et 414-2 Code civil)
Les héritiers ne peuvent demander la nullité que si (C. civ. art. 414-2, al. 2) :
- l'acte porte en lui-même la preuve d'un trouble mental. Ainsi doit être rejetée la demande d'annulation de la modification d'une clause bénéficiaire d'un contrat d'assurance-vie réalisée par une souscriptrice présentant selon les médecins un état cérébral « lacunaire » à l'époque de la modification au motif que l'acte ne porte pas en lui-même la preuve du trouble mental (Cass. 1e civ. 01-07-2009 n° 08-13.402; voir aussi Cass. 1e civ.20-01-2010 n°08-70469: Une cour d'appel, qui a estimé que le demandeur ne rapportait pas la preuve, dont il avait la charge, du trouble mental de l'auteur de l'acte litigieux (la modification du bénéficiaire d'une assurance-vie) au moment de celui-ci alors qu'un certificat médical mentionnait seulement la nécessité de la présence d'une aide-ménagère, et qui a estimé que le fait qu'une erreur de patronyme du nouveau bénéficiaire ait été commise lors de la transcription de la modification, qui pouvait être due à un employé de banque, n'était pas de nature à laisser supposer l'existence de troubles mentaux, a légalement justifié sa décision) ;
- l'acte a été passé par le majeur alors qu'il était sous sauvegarde de justice ;
- une action avait été introduite avant le décès afin de faire ouvrir une tutelle, une curatelle ou une habilitation familiale.
- un mandat de protection future avait pris effet avant le décès.
(ii) soit qu’il existe un doute sur sa volonté claire et non équivoque de modifier le bénéficiaire (article L132-8 Code des assurances)
La Cour de cassation exige uniquement que la volonté du souscripteur qui désigne ou modifie un bénéficiaire soit «exprimée d’une manière certaine et non équivoque» (Cass. 1re civ., 13 mai 1980, n°79-10.053 ; Cass. 1re civ., 6 mai 1997, n°95-15319 ; Cass. 1re civ., 29 juin 1999, n°97-13876 ; Cass. 1re civ., 7 nov. 2012, n°11-22634 ; Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n°12-23197; Cass. 1re civ., 5 avr. 2023, n°21-12875)
Aussi, pour obtenir la nullité de la modification du bénéficiaire, il suffira de prouver que l’ensemble des circonstances extérieures ayant entouré la signature de l’acte modificatif permettent de douter de l’existence d’une volonté claire et non équivoque de modifier la clause bénéficiaire : il n’est pas nécessaire de prouver un vice du consentement ni un état d’insanité d’esprit (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 5 avril 2023, 21-12.875)
Des éléments insuffisants pour caractériser l’insanité d’esprit visé à l’article 414-2 du Code civil, peuvent en revanche laisser planer un doute légitime sur l’expression d’une volonté claire et non équivoque du souscripteur (âge du souscripteur, état de grande fatigue physique, rapport médical, etc.).
L’héritier du souscripteur qui sollicite, après son décès, la nullité du changement de clause bénéficiaire peut agir non seulement sur le fondement de l’insanité d’esprit qui affecte l’existence du consentement(C. civ., art. 414-2, 1), mais également sur celui de l’absence de manifestation d’une volonté certaine et non équivoque du souscripteur (C. assur., art. L.132-8).
Dans les deux cas, la nullité est encourue.
Mais c’est le régime de leur preuve qui rend intéressant ce double fondement.
Si l’assuré n’était pas placé sous sauvegarde de justice, si aucune action n’a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle, l’existence du trouble mental ne peut alors être établie, ce qui peut s'avérer compliquer voir impossible, que par des éléments intrinsèques à l’acte modificatif en application de l’article 414-2 Code civil c'est à dire porter en lui-même la preuve d’un trouble mental, et peut ainsi fermer la porte à une nullité (Cour de cassation 1re Ch. civ. 6 janvier 2010 Pourvoi n°08-20646 ; Cour de cassation 1re Ch. civ. 20 janvier 2010 Pourvoi n° 08-70469) que des éléments extérieurs pourraient pourtant établir.
C’est alors que le secours de l’article L. 132-8 est particulièrement utile. L’acte peut être parfaitement clair en apparence, ne contenir aucune incohérence, absurdité ou démesure mais pourtant ne pas exprimer de manière certaine et non équivoque la volonté du souscripteur.
Maître Jacques VOCHE, avocat expert en assurance vie, conseille, assiste et défend les bénéficiaires de contrats d'assurance-vie devant toutes les juridictions de France.
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