Synthése
L’assurance vie est un outil permettant de contourner l’ordre public successoral et de déshériter ses héritiers tels que ses enfants.
En effet et en principe, les sommes reçues par le bénéficiaire au titre d'un contrat d’assurance vie ne font pas partie de la succession de l'assuré (C. ass. art. L 132-12) : on dit que l’assurance vie est hors succession.
Tout au moins en partie seulement, la loi et la jurisprudence ayant prévu des «garde-fous» afin de sanctionner ceux qui souscrivent un contrat d’assurance dans l’unique but de déshériter leurs héritiers.
De quels moyens disposent l’héritier lésé pour émettre une contestation et obtenir la réintégration de l’assurance-vie dans la succession ?
Il existe deux situations permettant à l’héritier lésé de contester l’assurance vie et d’obtenir la réintégration de celle-ci dans la succession :
1) les primes versées par le souscripteur du contrat sont «manifestement exagérées eu égard à ses faculté»
Dans une telle situation, l'article L132-13 Code des assurances autorise à demander le rapport à succession et la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers des primes exagérées.
Le caractère manifestement exagéré des primes eu égard aux facultés du souscripteur s'apprécie au moment de leur versement, au regard de quatre critères cumulatifs qui sont l'âge, la situation patrimoniale et familiale du souscripteur ainsi que l'utilité du contrat pour celui-ci (Cass. 1re civ., 2 mai 2024, n° 22-14.829; Cass. 2e civ., 19 déc. 2024, n° 23-19.110; Cass. 1re civ.,, 30 Avril 2025 – n° 23-10.983)
2) les circonstances dans lesquelles le bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable c'est-à-dire si, compte tenu des circonstances et notamment du fait du risque de son décès très proche, il est certain que le capital ira au bénéficiaire et qu’il n’exercera pas sa faculté de rachat du contrat .
Dans cette situation, la jurisprudence (Cass. 1re civ., 3 mars 2021, n°19-21.420 ; Cass. 1re civ., 28 févr. 2018, n° 17-13269 ; Cass. 1re civ., 26 octobre 2011, n° 10-24.608 ; Cass. ch. mixte 21-12-2007 n° 06-12.769) requalifie le contrat d’assurance vie en donation pour absence d’aléa dans la mesure où il n’existe aucune incertitude quant à la personne qui percevra le capital du contrat.
Le contrat d’assurance vie se caractérise en effet par l’existence d’un aléa consistant dans l’incertitude de la personne qui, in fine, recevra les fonds accumulés sur le contrat et qui pourra être soit le souscripteur s’il est en vie au terme du contrat ou s’il le rachète soit le bénéficiaire si le souscripteur décède.
La requalification du contrat d’assurance vie en donation a pour conséquence d’entraîner la réintégration dans la succession de la valeur du contrat et non uniquement des primes qui seraient exagérées.
Explications détaillées
I- Le principe : les sommes reçues par le bénéficiaire au titre d'un contrat d’assurance vie ne font pas partie de la succession de l'assuré (art. L 132-12 Code des assurances) et ne sont ni rapportables à la succession, ni soumises aux règles de la réduction pour atteinte à la réserve (art. L 132-13 alinéa 1 Code des assurances)
Le montant des sommes transmises par l’assurance-vie n'est donc pas incorporé à la masse de calcul pour déterminer le montant de la réserve héréditaire et de la quotité disponible et ainsi in fine calculer la part successorale revenant à chaque héritier réservataire.
L’article L. 132-12 du Code des assurances prévoit en effet que « Le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l'assuré. Le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l'assuré ».
Par conséquent, les sommes perçues par le bénéficiaire ne sont pas rapportable à la succession et ne sont pas soumises aux règles de la réduction pour atteinte à la réserver.*
Ce principe est posé par l’article L. 132-13 du Code des assurances :
«Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ».
* Au décès d'une personne, les libéralités qu'elle a consenties de son vivant peuvent être prises en compte pour le règlement de sa succession au travers de deux mécanismes différents, qui s'appliquent parfois de façon cumulative : le rapport, dont l'objet est d'assurer l'égalité entre les héritiers, et la réduction, dont le but est la protection de la réserve.
® Le rapport des libéralités est une institution du droit successoral selon laquelle l'héritier, appelé avec d'autres à recueillir une succession, doit remettre dans la masse successorale les biens dont le défunt l'avait gratifié (article 843 et suivants Code civil).
®La réduction des libéralités est une action par laquelle un héritier réservataire peut obtenir des bénéficiaires de libéralités consenties par le défunt au-delà de la quotité disponible la restitution, sous forme du versement d'une indemnté dite "de réduction", de la part excédentaire de ces libéralités afin de rétablir la réserve héréditaire qui a été entamée (article 920 et suivants du Code civil).
II - Exceptions au principe
Afin d'obtenir une part successorale plus importante, les héritiers qui s’estiment lésés par l’opération de transmission réalisée via l’assurance-vie peuvent solliciter son rapport à succession et sa réduction pour atteinte à la réserve dans deux cas :
- s’il prouve que les primes versées sur le contrat sont manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur
- ou s’il prouve que les circonstances dans lesquelles le bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable.
En effet, il existe deux exceptions afin de sanctionner ceux qui souscrivent un contrat d’assurance dans l’unique but de déshériter leurs héritiers :
(I) l’article L 132-13, al. 2 du Code des assurances dispose que si les primes versées sur un contrat d'assurance-vie sont manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur, elles sont soumises aux règles du rapport et de la réduction
(II) la jurisprudence requalifie le contrat d’assurance vie en donation indirecte « si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable » (Cour de cassation, 1re chambre civile, 3 Mars 2021 – n° 19-21.420) : le capital décès, et non les seules primes versées, devient en conséquence rapportable à la succession et réductible.
(1ère exception) les primes versées sur un contrat d'assurance-vie sont soumises aux règles du rapport et de la réduction lorsqu'elles sont manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur (C. ass art. L 132-13, al. 2)
La recevabilité de cette demande suppose d’établir les deux conditions suivantes:
- l'existence d’une atteinte à la réserve
- les primes ou certaines primes versées sont manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur
Mais «la fenêtre de tir» est particulièrement étroite :
(i) les critères de l'appréciation de l'exagération sont stricts (âge, situation patrimoniale et familiale, utilité des opérations à la date de chacun des versements effectués)
Les tribunaux doivent statuer au regard de ces quatre critères de manière cumulatif et ne saurait en retenir un seul (Cass. 2e civ. 16-6-2022 n° 20-20.544 : annule un arrêt de Cour d’appel qui avait retenu uniquement le critère du patrimoine du souscripteur pour exclure l’exagération ;Cass. 1re civ., 2 mai 2024, n°22-14829 : annule un arrêt de Cour d’appel qui avait retenu uniquement le critère de l’utilité du contrat pour exclure l’exagération ) ou en exclure un (Cass. 1re civ.,, 30 Avril 2025 – n° 23-10.983 : annule un arrêt de Cour d’appel qui n’avait pas tenu compte de la situation patrimoniale de la souscriptrice au moment du versement des primes litigieuses),
Ils ne s’auraient ajouter d’autre critère pour apprécier l’exagération : l’atteinte à la réserve héréditaire n’est pas un critère (Cass. 2e civ., 19 déc. 2024, n° 23-19.110); l’intérêt des héritiers ne saurait constituer un critère d’appréciation du caractère manifestement exagéré des primes (Cass. 2e civ., 19 mai 2016, no 15-19458) ; l’absence de lucidité du souscripteur lors du paiement de la prime ne peut être sanctionnée sur le terrain de l’article L. 132-13, alinéa 2 (Cass. 2e civ., 17 févr. 2005, n° 01-10471) : cette circonstance relève des règles de protection du consentement.
(ii) seule les primes exagérées sont réintégrées dans la succession pour leur valeur nominale sans tenir compte de la valorisation lié à la capitalisation ou la performance des unités de compte sur lesquelles elle a été investi (Cass. 1re civ., 16 déc. 2020, n° 19-17517)
D'autre part, établir que les primes sont manifestement exagérées n’emporte pas mécaniquement des effets sur le terrain du droit successoral, ces derniers supposent que les conditions du rapport et/ou de la réduction sont réunies :
- le rapport ne joue qu’à l’égard des héritiers légaux et non à l’encontre des légataires universels ou à titre universel ou des petits-enfants du souscripteur, l’exagération manifeste des primes reste alors indifférente si le tiers bénéficiaire ne cumule pas la qualité d’héritier légal du défunt (Cass. 1re civ., 30 janv. 2019, n° 18-12045 ; Cass. 1re civ., 8 mars 2017, n° 69-10237; Cass. 1re civ., 20 oct. 2010, n° 09-16157)
- s’agissant de la réduction, seuls les héritiers réservataires sont en droit de demander la réduction des primes manifestement exagérées, puisqu’une telle action a précisément pour objet de protéger leur réserve (C. civ., art. 921.). D’autre part en l’absence d’atteinte à celle-ci, aucune indemnité de réduction n’est due par le bénéficiaire (Cass. 2e civ., 3 nov. 2011, n° 10-21760).
► Aussi avant d’initier une telle procédure et afin d’éviter les déconvenues et des frais inutiles, il convient d’apprécier préalablement l’opportunité et la pertinence de mobiliser l’article L. 132-13 du Code des assurances, vérifier que le jeu en vaut bien la chandelle, que les effets recherchés l’emportent sur les effets indésirables, dresser un bilan coût/avantage entre les chances que soit constaté le caractère manifestement exagéré des primes, le coût de la procédure judiciaire et les effets patrimoniaux d’un tel constat.
(2ème exception) si les circonstances dans lesquelles le bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable, le contrat d’assurance vie peut être requalifié en donation indirecte et ainsi la valeur du contrat devient rapportable et réductible
Cette voie est plus avantageuse car elle permet de réintégrer dans la succession la valeur du contrat donc les plus-values et non pas seulement les primes versées.
Cependant elle ne peut concerner que certaines circonstances bien particulières, celles ou compte tenu de l’âge du souscripteur, l’importance des primes versées et l’utilité du contrat pour ce dernier, il n’y avait aucune probabilité qu’il exerce sa faculté de rachat compte tenu de l’imminence de son décès.
III - Délai pour contester assurance vie
Demande de rapport à la succession de l’assurance vie
Aux termes de l’article 892 Code civil, lorsqu’un bien indivis a été omis du partage, il est possible de demander un partage complémentaire portant sur ce bien. La recevabilité de l’action en partage complémentaire est soumise à la condition qu’un bien indivis a été omis lors des opérations de partage, à défaut d’omission, l’action est irrecevable. L’action en partage complémentaire est imprescriptible (Cour de cassation, 1re chambre civile, 20 Novembre 2013 – n° 12-21.621)
Dès lors peut-on considérer que la demande tendant au rapport des libéralités faites par voie d’assurance-vie étant une demande de partage complémentaire, cette demande est imprescriptible et peut être exercé sans condition de délai ? ou doit-on considérer que la demande de rapport à la succession de l’assurance vie est soumise à la prescription de droit commun de 5 ans de l’article 2224 Code civil ?
Il résulte d’une décision de la Cour de cassation (Cour de cassation, 1re chambre civile, 31 Mars 2021–n°19-20.054) que la demande de rapport à la succession d’une assurance vie est soumise la prescription extinctive soit au délai de prescription de droit commun de 5 ans de l’article 2224 Code civil aux termes duquel "Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer."
Cette décision confirme en effet un arrêt rendu par la Cour d’appel d’Orléans (Cour d'appel d'Orléans, Chambre civile, 28 mai 2019, n° 18/01956) qui a retenu que l’héritier, qui exerçait une action en rapport à la succession de l’assurance vie plus de 5 ans après la clôture du partage faite par le notaire, avait « eu connaissance de l'existence de ces contrats d'assurance-vie lors du partage » et qu’en conséquence son action était prescrite.
Le point de départ du délai de 5 ans est la clôture des opérations de partage effectué par le notaire.
Cependant ce point de départ est repoussé si l’héritier demandeur au rapport ignorer lors de la clôture des opérations de partage l’existence du contrat d’assurance vie : dans cette situation, le délai de prescription de 5 ans commencera à courir à compter de la date ou il connaîtra son existence.
Une fois que cette prescription est acquise, il n’est plus possible de demander le rapport sauf si le partage précédemment opéré n’a été que partiel c’est-à-dire si certains biens ont été omis lors du partage (Cour de cassation, 1re chambre civile, 24 Mai 2018 – n° 17-18.270) : comme le dit le professeur Luc Mayaux Professeur à l’université Jean-Moulin (Lyon 3) « Le rapport, notamment des primes manifestement exagérées, sera alors possible, à l’occasion d’un partage complémentaire. Mais c’est seulement à cette occasion, le rapport ne provoquant pas à lui seul un tel partage. Il faut d’autres biens. »(RGDA N° 7 - Juillet 2018 page 357)
Action en réduction de l’assurance vie
L'article 921, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 dispose que «Le délai de prescription de l'action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l'ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès.»
Il résulte de ce texte que, pour être recevable, l'action en réduction doit être intentée dans les cinq ans à compter du décès ou, au-delà, jusqu'à dix ans après le décès à condition d'être exercée dans les deux ans qui ont suivi la découverte de l'atteinte à la réserve. (Cour de cassation, 1re chambre civile, 7 Février 2024 – n° 22-13.665)
Praticien expérimenté du droit de l'assurance vie, Maître Jacques VOCHE conseille, assiste et défend les bénéficiaires de contrats d'assurance-vie devant toutes les juridictions de France.
Si vous estimez etre lésé par une assurance vie et souhaitez la voir réintégrer dans la succession, je vous invite à me contacter afin de déterminer préalablement à la saisine du Tribunal, le fondement juridique le plus opportun à retenir compte tenu des données factuelles et évaluer les chances de succés d'une telle demande ainsi que son impact sur la part successorale à laquelle vous pourriez prétendre si la demande était acceptée.
Avant d'initier une procédure judiciaire, il est en effet raisonnable et opportun d'effectuer préalablement un "audit" juridique de la situation afin d'apprécier les chances de succès de la procédure envisagée et ainsi éviter les déconvenues tels qu'engager des frais inutiles pour une procédure perdue d'avance.
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